Quand je vous parle géopolitique…

Aujourd’hui encore, beaucoup de bateaux s’arrêtent à Ouessant. Juste ce ne sont plus les mêmes… Et puis » Le Prédateur de Brest », c’est pas un peu le meilleur nom de bateau qui soit?!
Il y a encore trente ans, énormément de bateaux s’arrêtaient à Ouessant et croisaient au large de l’île. Plus maintenant car j’espère que depuis que je vous raconte mes histoires ici, vous avez retenu au moins une chose : les abords de l’île sont MEGA dangereux

Cette photo, c’est juste pour vous rappeler la tronche de la côte par ici. « Acérée » est le mot juste je crois. Et c’est pareil SOUS l’eau.
D’abord à cause des différents courants qui passent, dus à la rencontre de l’Atlantique et de la Manche (ze famous Fromveur). Mais aussi à cause des très nombreux récifs qui l’entourent (voir photo ci-dessus). Ouessant est littéralement cernée d’épaves sous-marines, un vrai cimetière à bateaux.
D’ailleurs Yann Queffelec, romancier, a eu cette phrase éloquente au sujet de l’île :
« La falaise et le récif d’Ouessant ouvraient les bateaux en deux comme des huîtres« .
Funky et rassurant. Mais cet état de fait a mis pas mal de beurre dans les épinards pour des générations de ouessantins.
« Pourquoi ? » me direz-vous.
Us et coutume îliennes
Le droit de « pense an aod » (je crois que ça veut dire épave en breton) (ou tour de grève) ou, en français, « droit de bris », est le droit pour les habitants d’Ouessant (et des communes maritimes en général) de ramasser ce qui arrive à la côte, notamment ce qui provient des bateaux naufragés. C’est comme ça que les gens de l’île, isolés de tout avant le milieu du 20e siècle, pouvaient se procurer de nombreux produits qui leur manquaient, et notamment, la vaisselle et le bois.
Oui le bois ! Souvenez-vous, dans l’un des posts précédents, je vous ai expliqué qu’il n’y a pas d’arbre sur l’île. Mais personne n’a soulevé une question importante : comment on fait des meubles sans bois ? Réponse : on le récupère sur les vieux bateaux, et on ramasse tout le bois flotté qui arrive sur la grève. Les jour d’épaves, toute l’île était sur les plages à guetter ce la mer apportait et pour en faire provision. C’est pour ça que tous les meubles des maisons traditionnelles semblent tout abimés : le bois était, à une époque, recouvert de moules ou de berniques, puisque c’était la coque d’un bateau ! On y voit aussi parfois une planche trouée en son centre, au plafond par exemple. Pourquoi ? Pour laisser passer le mat du bateau, tout simplement… Rien ne se perd, rien ne se créé tout se transforme! #systèmeD

Vous voyez des arbres vous? Non, car il n’y en a pas.
Aujourd’hui encore, le droit de bris est pris au sérieux et respecté ici, même si les rois successifs ont tenté de l’interdire et d’en réprimer la pratique. La coutume veut que lorsqu’on trouve quelque chose sur la plage et qu’on ne puisse pas l’emporter tout de suite, on pose dessus un gros galet. Ça signifie « c’est réservé, quelqu’un est passé par là avant toi ». Ainsi, on peut repasser le chercher plus tard.
Lorsque je vous dit que les rois ont tenté de l’interdire, ils ont carrément mis l’armée sur le coup. Il y avait des douaniers bien sûr, mais il ne faisaient pas le poids face à 2000 personnes (il y a eu jusqu’à 3000 habitants simultanés sur Ouessant!) qui n’en faisaient qu’à leur tête. Par exemple, un jour, un bateau affrété par un marchand de vin bordelais a fait naufrage au large de Ouessant. Des centaines de tonneaux sont arrivés sur toutes les côtes de Bretagne. Scènes d’ivresse collective dans tous les coins pendant des jours, notamment à Ouessant. Les chroniqueurs de l’époque rapportent qu’un gendarme a essayé de s’interposer entre une vieille dame et une barrique de vin ouverte. Elle, son sang n’a fait qu’un tour et elle a carrément sauté dans le tonneau en gueulant : « m’empêcher de boire gendarme ?! J’aimerais bien voir ça ! ».#wondermamie!
« Un jour où il y avait de la brume »

Quand tu mélanges de la brume et des récifs, c’est romantique à terre, moins quand tu navigues.
Ici, toutes les histoires commencent par cette phrase. Et comme je vous l’ai expliqué plus haut, les abord de l’île sont dangereux. Or, dans les années 70, il y a eu plusieurs naufrages coup sur coup :
- l’Olympic Bravery en 1976
- l’Amoco Cadis (clic pour voir une vidéo très intéressante pour la suite de l’article) de son petit nom dont la marée noire gigantesque a dévasté la côté, la faune et la flore de toute l’île. Des milliers et des centaines de milliers de litres de pétrole partout.
- Un bateau japonais dont je ne trouve pas le nom et qui lui a coulé dans le golf du Mexique. Et, mignonnement et en plus de la marée noire, il a déversé une flopée de petits canards de bain jaunes qui ont traversé l’Atlantique au gré des courants. C’est ainsi qu’un matin, les habitants de Lampaul se sont réveillés pour trouver la baie remplie de ce qu’on a appelé par la suite « la marée jaune« . C’était mignon et rigolo d’en trouver partout sur les plages et encore aujourd’hui, on peut en voir dans les jardin des habitants de l’île.

La marée jaune
En tout, quatre naufrages en moins de onze ans. Le président de l’époque, VGE, a donc décidé d’instaurer une « autoroute à bateaux » une trentaine de km au nord de l’île : on l’appelle « le rail d’Ouessant ». Beaucoup de gens ici regrettent de ne plus voir passer les bateaux mais il y a quand même moins de naufrages depuis…
Pourquoi je vous parle de ça?
(un jour, j’apprendrais comment en venir au fait en moins d’une page et douze paragraphes de trois parties chacun) ?

La tour radar du Stiff
Pour vous dire qu’à côté du Stiff se dresse une géante tour radar qui surveille les bateaux qui voudraient gagner du temps en esquivant le rail d’Ouessant et en coupant entre l’île et le continent. Ce sont généralement ces petits malins qui ont des accidents et provoquent des catastrophes écologiques. C’est assez drôle de voir le tout petit phare à côté de cette immense tour. En étant devant, j’ai vu que des échelles grimpaient jusqu’à son sommet. Jusqu’à hier, je me demandais si les gens qui bossent là-haut y montent à pied ou s’ils trichent en utilisant un ascenseur caché dans le pied de la tour ? J’ai la réponse depuis une petite discussion que j’ai eu avec l’un de mes collègues hier. A ma grande déception, il y a bel et bien un ascenseur. Autant pour mon romantisme échevelé qui me faisait imaginer le gardien en ciré jaune monter les échelons un par un dans la tempête.
Cet article se termine ici et j’espère que vous l’avez apprécié même s’il raconte moins d’histoire que les précédents. Promis, dans le prochain je remet mes conneries et mésaventures au centre du débat!
Pour lire les autres chapitres
Chapitre 3 : L’exploration (suite)
Chapitre 4 : L’exploration (fin)
Chapitre 5 : Ce que j’ai appris
lauresila
mai 29, 2016Marie Marie Marie… Meme quand tu nous parles de l’histoire c’est vachement plus fin que tout e qu’on peut lire. Je suis fan. Et tout ce travail de recherche… C’est ta curiosité qui te pousse à aller chercher les anecdotes les plus jubilatoires ou simplement tes collègues et tes rencontres qui t’abreuvent de ces bonnes histoires ?
Mademoiselle Bambelle
mai 29, 2016Merci Laure, je rougis! Pour te répondre, c’est les deux! Depuis que je suis arrivée ici, on m’a prêté pas mal de livres sur l’île,et puis j’ai discuté avec plein de gens qui m’ont à leur tour raconté plein de choses! Et puis mon choix de ne pas raconter que dans l’ordre chronologique, ça me permet aussi d’attendre d’avoir assez d’infos sur un sujet avant d’écrire, ou mieux, d’attendre que des liens se créent tout seuls entre différentes anecdotes. 😀
Geneviève
juillet 5, 2016Que de souvenirs en te lisant… Je suis allée à Ouessant avec des copines (j’avais 17 ans à peu près) juste après l’Olympic Bravery… Il y avait des plongeurs de je ne sais quel pays du nord pour « évaluer » et les plongeurs ne pouvait travailler (gros gros temps). Ils passaient leurs journées à picoler dans un café (qui avait été remeublé… droit d’épave…). Bref ! on avait fait connaissance avec un jeune appelé qui faisait son service militaire au phare du Créach.
Semaine de folie (et de tempête…)
Mademoiselle Bambelle
juillet 5, 2016Ah Geneviève, quelle chance d’avoir eu une tempête! Je suis arrivée après la saison et j’avoue que ça doit être sacrément marquant, d’être perdus au milieu de l’océan pour une durée indéterminée!
chinouk
septembre 27, 2016je ne connaissais pas l’histoire de la marée jaune ! La prochaine fois que je vais sur l’île je part à la chasse (photo) aux canards 🙂
Mademoiselle Bambelle
septembre 27, 2016Hahaha! Génial! Bonne chasse alors!