Mon dernier billet se refermait sur le soir de notre arrivée dans le Vermont.
J’étais dans un état de quasi transe en me glissant dans les draps pilous et en m’endormant du sommeil du juste aux environs de 20h (ça a été une constante pendant notre séjour à la ferme. Je ne sais pas si c’est l’activité extérieure, la nourriture, le calme, le noir de la nuit ou une conjonction de tout ça, mais mon heure de coucher moyenne se situait entre 19h15 et 20h45).
Et vous, cher-e-s lecteurices, vous devez vous demander « OK, mais on fait quoi, maintenant ? ».
C’est quoi, une journée type quand on travaille dans une ferme en plein Vermont en automne ?
La réponse tout de suite.
Un réveil en douceur
7h : le réveil sonne. Malgré les 12h de sommeil, je veux rester blottie encore un peu au chaud. Me réveiller en automne a toujours été difficile. Mich, lui, se lève tout de suite et va faire chauffer de l’eau pour le thé/le café. Mon mec est merveilleux.

La légende de ce dessin est « se réveiller en automne ». Je l’ai griffonné un matin, encore toute endormie.
7h25 : n’écoutant que mon courage, je sors de sous la couette. Le poêle c’est bien, mais fatalement le matin, il est éteint et la maison est froide.
7h26 : j’enfile une tenue de travail appropriée à la météo que je consulte en regardant par la fenêtre. Généralement, il y a un collant sous mon pantalon, un débardeur, un t-shirt manches longues, un manches courtes par dessus et un sweat. Onion style, yeah yeah yeah. Quelle classe.
Mich, lui, est en short. Avec une petite écharpe.
7h30 : après un passage éclair par la salle de bain, je descends. L’eau est chaude, mon thé infuse et, souvent, le porridge est sur le feu en train de cuire. Le poste diffuse Kool Radio est sur « the true oldies channel » (en français : « la station des vrais classiques », ou quelque chose comme ça). Le premier jour, j’envoie un message sur le groupe WhatsApp de ma famille :
« JE SUIS DANS UNE CABANE DANS LE VERMONT ET Y A LE BEAU DANUBE BLEU A LA RADIO !!! MOMENT PARFAIT !!! »
(oui, en plus de tout le reste, j’ai une passion pour les valses viennoises)
Ce à quoi mon petit frère répond :
« Tu vas bientôt entendre une chanson country à la gloire du poulet frit et de la bière fraiche du vendredi soir. Et une pensée pour nos vétérans ».
Je suis morte de rire.
7h50 : le porridge avalé (avec du sirop d’érable comme il se doit), nous enfilons nos bottes fourrées (qui ont été mes chaussures officielles durant tout le temps passé à la ferme) et nous remontons le chemin qui mène à la maison principale et à la grange.
7h55 : nous sommes à pied d’œuvre et les « morning chores » ou « corvées matinales » commencent.
Quand on est 5, c’est plié en 20 minutes et assez peu de peine. Les jours où il y a moins de monde, c’est facilement une heure (et c’est plus sportif).
Mais une heure à faire quoi ? Je vous guide pas-à-pas (au cas où, un jour, vous ayez envie de devenir fermier dans le Vermont vous aussi).
« Morning chores » : mode d’emploi
Abandonnons l’emploi du temps minuté et adoptons une vision plus globale, voulez-vous ?
En premier, il faut donner du foin aux ruminants pour qu’ils aient le temps de tapisser leurs estomacs avant l’arrivée des granulés. Les vaches consomment le plus vert, et les moutons le plus sec. C’est ma partie favorite. Les moutons font partie de mes animaux préférés et j’en profite pour leur dire des mots doux à base de « Et comment ils vont les bébéééés ? » en entrant dans l’enclos.
Ricky, un vrai vermontais pur et dur, avec chemise en flanelle, grosse barbe et tout et tout, me prévient qu’ils ne parlent pas français.
Je lui dis « Oui oui », mais ils font « bêêê », se précipitent dès qu’ils me voient arriver et sont beaucoup trop mignons. Je sais bien, moi, qu’ils me comprennent.
« Ça aurait pu être pire, j’aurais pu faire un plat ventre »

Cobalt, le paon.
« He is such a good peacock » aime répéter Leigh.
Ensuite, pendant que les moutons mangent, vient ma partie beaucoup moins préférée : les soins à la population aviaire de la ferme :
- Les paons. Eux, c’est assez cool, il n’y en a que quelques-uns et ils sont plutôt indépendants. En plus ils sont jolis. Le mâle s’appelle Cobalt et il y a quelques petits.
- Les poules. J’aime moins mais ça fait des œufs. Et j’aime les oeufs.
- Et enfin, il y a LES DINDES. Je vous le dit d’emblée, entre les dindes et moi, ce n’est pas le grand amour. Même si j’essaie de les voir comme des animaux comme les autres, elles me répugnent. Elles sont vraiment stupides, très très laides, puent vraiment et en plus, leur viande n’est pas bonne.
Il faut ouvrir les poulaillers, donner du grain à tout le monde et changer l’eau.
Si les poules s’égaillent dès qu’on ouvre la porte ce qui rends les opérations assez faciles, les dindes, elles, doivent rester à l’intérieur.
Il faut donc les esquiver pendant qu’elles font connement glou-glou entre vos jambes en courant dans tous les sens, repousser celles qui marchent (ou chient, on n’est pas à ça près hein) dans leur mangeoire et verser les graines, sur lesquelles elles se jetteront comme la vérole sur le bas clergé, vous empêchant de rebrousser chemin.
Tout ça en apnée, puisque le dindailler (j’ai décidé que c’est ainsi qu’on appelle un poulailler de dindes) pue… la dinde, CQFD. Je ne suis pas très sensible, mais l’odeur des volailles est l’une des rares qui peut me faire vomir instantanément.
L’opération n’est pas sans risques puisque le 10 octobre, je note dans mon journal de bord :
« 10 OCTOBRE
Je me suis ramassée dans le poulailler des dindes ce matin. Un genou dans le purin. Ça aurait pu être pire, j’aurais pu faire un plat ventre. »
Autant vous dire que si je peux esquiver cette corvée-là et la laisser à quelqu’un d’autre, je le fais sans remords.
Saute-mouton
Ensuite, les moutons ont terminé leur foin, leurs petits estomacs sont chaudement tapissés et personne ne risque plus d’avoir mal au bidou.
C’est là qu’il faut leur filer des granulés.
Et que le sport commence.
Le premier jour, Yvonne nous dit :
« Be careful, this shit is like crack for them »
Traduction : « Faites gaffe, ce truc c’est comme du crack pour eux, ça les rends cinglés ».
« HAHA ! » je pense à ce moment là, « mes mignons petits moutons, on vous diffame une fois de plus ! » (la meuf toujours plus maline que tout le monde vous savez…)
Mais de fait…
Dès qu’ils entendent, de l’autre côté de la cloison, le bruit du couvercle du récipient à granulés, ils se mettent à bêler comme des possédés.
En entrant dans l’enclos, vous serez assailli-e par le troupeau entier.
Il y a aussi de fortes chances que le plus gros des bestiaux, une magnifique Texel saute pour poser ses pattes sur vous, comme un chien affectueux. Mais un très très gros chien, puisqu’une brebis de cette race peut peser jusqu’à 80 kilos.
Il faut la repousser et continuer d’avancer au milieu de la marée laineuse, en prenant garde à ne pas glisser dans la boue qui vous arrive jusqu’à la cheville. Si vous tombiez, vous ne vous relèveriez peut-être pas. Vous seriez englouti-e à jamais par la gadoue dans laquelle vous enfonceraient 80 sabots dans leur précipitation à atteindre les granulés renversés.
En arrivant près des gamelles, là encore, il faut être maline.
Comme je suis sympa, je vous donne ma technique.
D’abord, faites une feinte, un changement de pied et larguez quelques granules dans la mangeoire. Le troupeau entier va s’y précipitez.
Alors, en profitant de votre inversion d’appuis, filez vers la deuxième et larguez-y environ un tiers de ce qu’il vous reste. La moitié des brebis devrait alors se détacher de la première gamelle pour venir attraper quelques miettes dans la seconde.
A cette étape, le chaos le plus total règne dans le paddock.
Pendant ce temps, vous, vous êtes déjà en train de filer vers la troisième mangeoire où vous laissez la moitié de ce qui reste dans votre mesure.
Vous y êtes presque !
Retournez à la première et larguez encore la moitié du reste.
Le reliquat, c’est pour Ivy, votre brebis préférée.

Ivy <3
Ivy
Ivy est la plus vieille brebis du troupeau. Ivy est une shetland noire avec une toison blonde qui fait un toupet sur son front. Ivy ressemble vaguement à Elvis. Du haut de ses 14 ans, elle est la matriarche du troupeau.
Et Ivy est très intelligente…
Comme elle est moins rapide que les autres (quoiqu’elle le soit toujours bien assez comme nous allons le voir plus bas), elle peut difficilement accéder aux granulés et ils la poussent. Quand ils sont tous occupés à boulotter ce que vous avez mis dans la mangeoire, vous donnez discrètement le reste à Ivy.

A gauche, Ivy qui mange tranquille pendant que les autres sont très occupés à se disputer des granulés. Justice est faite.
La justice est rétablie dans l’enclos, fin du cours de nourrissage de moutons.
« Merci, de rien, au revoir » me dites-vous.
« Tut tut tut, attendez un peu » je vous réponds.
Vous n’êtes pas au bout de vos peines.
Une tache d’importance vous attend encore : Ivy doit prendre son médicament contre l’arthrose. (oui vous avez bien lu).
Et Ivy n’aime pas du tout ça.
Après l’heure des granulés, quand elle vous voit rerentrer dans l’enclos, alors que tout le monde a déjà bien mangé, elle sait bien que c’est pour elle.
D’ailleurs, elle est déjà en sureté, soit au milieu de tous les autres moutons, soit dans le coin le plus opposé qu’elle ait pu trouver.

Cas typique : Ivy vous défie du regard, planquée au milieu de ses congénères.
Elle ne vous quitte pas du regard et tous vos efforts sont vains pour essayer de l’appâter.
Il ne vous reste qu’une solution : l’affrontement c’est-à-dire : la course.
Et laissez-moi vous dire que malgré son arthrose, elle est encore rapide la bougresse.
En utilisant tous les appuis et contre-appuis à votre disposition, en contrôlant vos dérapages et sans vous étaler sur le ventre dans la boue qui vous arrive à la cheville, il faut donc l’acculer dans un coin. Ensuite, sans la quitter des yeux et en surveillant ses moindres frémissements, il faut vous avancer doucement mais fermement vers elle. Elle tente une échappée en plongeant d’un côté mais, si vous avez l’œil assez vif, vous aurez saisi le mouvement et c’est vous qui plongez sur elle, tel un bleu du XV de France sur un ballon derrière l’en-but adverse.
Si vous ratez, retour à la case départ.
Si vous réussissez, vous avez à présent une brebis mécontente bien en main, que vous devez trainer malgré tous ses efforts de résistance vers le petit enclos douillet où vous lui donnerez son médicament bio à base de curcuma.
Attention, restez sur vos gardes !
A cette étape, il est encore possible que la mission capote et que, dans un sursaut, elle vous échappe à nouveau !
Vous êtes devant la porte de l’enclos, situé 1m au-dessus du sol du paddock. Il vous faut donc hisser la brebis adulte et bien nourrie à la force de vos bras. Alors, épuisée, vous pouvez claquer la porte et vous y adosser en prenant garde à ne pas la laisser filer.
Pfiou, le plus dur est fait.
Ressortez de l’enclos et rentrez à nouveau dans la grange.
Attrapez le flacon contenant les pilules, sortez-en deux, ouvrez-les et dispersez leur contenu dans une poignée de granulés. Avec votre plus beau sourire, amenez-les à Ivy qui boude dans un coin de l’enclos et appâtez-là. Pendant qu’elle grignote puis renverse le contenu du bol pour vous signifier tout son mépris, ressaisissez-vous.
Enfin, rouvrez la porte et laissez la retourner avec les autres.
C’est fini pour aujourd’hui.
Vous avez de la boue jusqu’aux chevilles, de la paille dans les cheveux, le cœur qui bat la chamade, vous transpirez jusqu’aux tréfonds et vous sentez le suint, mais vous pouvez reprendre le cours de vos activités.
Les mornings chores sont terminées… Jusqu’à demain.

Je ne suis pas rancunière, c’est resté ma préférée jusqu’au bout. Du coup je l’ai dessinée avant de partir.
Allez, à très vite ! Et n’oubliez pas de travailler votre cardio. On ne sait jamais quand on va en avoir besoin !
Je vous embrasse, et restez branchés, la semaine prochaine, je vous cause vaches !
Marie B.
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Val Lao sur la Colline
avril 10, 2019Quel programme ! ,J’aime beaucoup comment tu nous racontes tout ça, merci 🙂
Fanchette
avril 15, 2019Juste une question de béotienne en terme de nourrissage de brebis arthrosée : pourquoi tu donnes pas ses granulés à Ivy DANS l’enclos ? Comme ça elle est déjà à poste pour recevoir le curcuma ?
Ps : en échange je peux te raconter le nourrissage bi-quotidien des bichons maltais que je garde en ce moment dans une villa paradisiaque lisboète !!! Nan parce que Jake fait de l’embarras gastrique et ne supporte que sa viande fraîche qu’il aspire en 15 secondes mais s’obstine à tenter de piquer ses croquettes à Mandy qui, elle, a fait une attaque vasculaire la semaine passée et met désormais 3 plombes à chopper ses croquettes dans son assiette – la pauvrette elle tombe, elle n’arrive pas à déglutir mais elle est mignonne qua-même (oui mes bichons ont des noms américains parce qu’ils sont exilés à Lisbonne ! Chiens de luxe je vous dis). Je crois que je suis mure pour le wooffing dans le Vermont !