Cher vous tous, chères vous toutes,
J’ai une triste nouvelle : il est temps pour nous de reprendre la route et de laisser derrière nous les étendues mordorées et les « barns » rouges du Vermont.
Parce que c’est vrai que je pourrais vous faire le récit d’encore mille petites aventures vécues là-bas, mais soyons honnête : je ne saurais pas comment.
Nous avons soufflé du verre, pris des cours de poterie, fait un road trip à travers l’état, visité l’usine Ben and Jerry’s où nous nous sommes bourrés de glaces, vécu une journée sur un campus universitaire exclusivement féminin, aidé le charpentier du coin à construire une grange, fabriqué de la choucroute et du soda de patate douce (oui, vous avez bien lu), cardé et filé de la laine… Mais il faut bien reconnaître que certaines aventures ne sont passionnantes que pour ceux et celles qui les ont vécues.
Alors avançons un peu dans notre récit.
Le jour de notre départ, j’avais le cœur très gros. Venus pour passer deux semaines dans le Vermont, nous sommes restés un mois. J’avais trouvé à la ferme une « happy place » comme on dit aux États-Unis : un endroit où l’on se sent bien, où l’on est heureux. Si le temps de notre ESTA n’avait pas été en train de s’écouler à toute vitesse, peut-être y serions-nous encore.
Mais le matin venu, nous avons rangé nos affaires, mis nos draps à laver et balayé la cuisine. Notre petite maison jaune s’ensommeillait pour l’hiver en attendant l’arrivée de nouveaux hôtes, un jour. Ensuite, nous avons chargé nos sacs à dos à l’arrière du pick-up et, pour la dernière fois, remonté le chemin qui reliait notre « chez-nous » à la maison principale.
En pleine matinée, même pas besoin de faire attention aux ours.
Nous avons dit au revoir à tout le monde. Ricky, Ryan, Melissa, Tonie, Beth… Et bien sûr, Leigh. Ça n’a pas été facile. J’ai regretté mon anglais trop limité pour lui dire autre chose que « Thank you for everything ». Pas facile d’entrer dans les détails quand il nous manque des mots.
Alors j’ai fait ce que je n’avais jamais osé faire jusqu’alors : je lui ai offert un dessin. Un dessin abstrait en plus, qui représentait ce que mon séjour avait provoqué en moi. C’était ce que je pouvais lui donner de plus expressif. Les couleurs et les formes ont pris le relais de mes mots trop faibles et de mes « merci » insuffisants.
Elle avait des cadeaux pour nous aussi : une lampe frontale pour Florent (sans aucun doute le cadeau le plus utile. Nous nous en sommes servi jusqu’à la fin de notre voyage par la suite) et pour moi, une magnifique boîte d’aquarelle. Elle m’a dit : « On m’a offert la mienne quand j’étais enfant, je vais fêter mes 60 ans et je l’ai encore ».
Et elle a ajouté : « Je te l’offre parce que tu as tellement de talent ». Et c’était ça, le plus beau cadeau qu’elle pouvait me faire au final. Pour la première fois, quelqu’un à l’extérieur de mon cercle d’amis, quelqu’un qui n’est pas de ma famille me faisait un compliment sur mes dessins. Qui plus est une femme que j’admire autant que Leigh.
Alors j’ai pris la boîte d’aquarelle et le compliment, encore une fois j’ai dit un « merci » bien insuffisant et je suis monté dans la voiture, direction l’arrêt de bus, à une trentaine de kilomètres de là.
J’avais sur le dos un magnifique pull en laine trouvé à la friperie. Sur ma poitrine, fraichement cousu de la veille, brillait un écusson brodé tout neuf : « Composting level one ».
Normalement, ils sont pour les enfants qui participent au programme de badges de la ferme (un genre de scouts fermiers qui apprennent à se débrouiller seuls à la ferme et dans la nature), mais je l’avais demandé comme une faveur, parce que je le trouvais beau.
Et aussi que j’avais passé plusieurs heures à retourner le compost plein de têtes de dindes en décomposition à la fourche alors je l’avais un peu gagné, mais ne soyons pas tatillonne.
Nous sommes montés dans le bus et enfin, après 12h de trajet inconfortable dans un véhicule puant, c’est un peu vaseux que nous avons débarqué dans la gare routière de Washington DC. Après le mois que nous venions de passer, reprendre contact avec une ville et tout ce que ça implique de saleté, de misère, de bruit et de pollution, ça a été difficile. Alors, affamés, un peu perdus et désorientés, nous nous sommes rabattus sur un élément connu du paysage : McDonald’s.
Et là, dans le McDo le plus dégueu que j’aie jamais vu, j’ai pleuré.
J’ai pleuré à cause de l’éclairage au néon, pleuré parce qu’en moins de 2 minutes alors que nous faisions la queue pour commander deux sandwichs et un coca, nous nous sommes fait aborder trois fois. Pas par des gens qui voulaient des sous, mais par des gens qui avaient faim et nous demandaient un sandwich.
J’ai pleuré d’avoir laissé derrière mois un endroit si génial, pleuré d’avoir à nouveau à affronter un monde où des gens ont faim, pleuré parce que la table du Mc Do était fixée au sol et que je n’avais pas de place pour mes jambes (oui, bon, ça va, j’étais fatiguée okay ?). J’ai pleuré parce qu’en moins de 5 minutes, nous avons produit plus de déchets qu’en un mois à la ferme.
J’ai quitté le Vermont avec l’impression de n’y être resté qu’un instant ou alors toute ma vie. En mon for intérieur, je me disais « Déjà ?! », mais j’avais aussi la sensation d’y avoir vécu plus, beaucoup plus qu’un mois. J’ai emporté un peu de la ferme avec moi, et sans doute laissé un bout de mon âme là-bas.
Et aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes presque un an jour pour jour après notre départ de là-bas, mon cœur bat encore au rythme des morning chores, du café de 10h, du bouillon de poule et de la traite des vaches. Et sur ma poitrine, brille fièrement le badge qui atteste que je suis « level one » dans l’art du compost.
Comme dit Yvonne : « Once a Vermont farmer, always a Vermont farmer ».
Je vous embrasse, et n’oubliez pas de vous faire de beaux souvenirs.
Marie B.
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Fanchette
décembre 4, 2019Tous les jours j’utilise le bag balm : c’est écrit mis au point par les fermiers du Vermont (je l’ai ramené du Kentucky : c’est dire si ça voyage !). Ça pue (mais plus rien ne m’étonne maintenant que je sais qu’ils mettent des têtes de dinde dans leur compost, les gars du Vermont !!!! Moi qui répugne à jeter une croute de fromage dans le mien ! Oye) mais ça fait du bien aux cicatrices. Je me sens donc un peu une fermière du Vermont du coup !
Alors vive le Vermont.
J’adore tes histoires.
Effectivement le retour à la réalité du McDo est rude.
Hâte de lire la suite.